CURATRICE K OFF KENZA JEMMALI


 KENZA JEMMALI KENZA JEMMALI

La sélection pour la section Art vidéo, K OFF, dédiée aux jeunes artistes tunisiens, prend comme point dencrage ces artistes, leur pratique individuelle et considère l'émergence d'une scène artistique où la réalité, et l'expérience de chaque artiste constitue la source d'inspiration. Cette scène artistique bouillonnante témoigne de l'engagement, du dévouement et de l'atypisme de chacun. Elle est présentée ici au cœur de Gabès, une ville qui a effectivement besoin d'engagement et de nouvelles perspectives.

Grâce à K OFF cette année, six jeunes artistes tunisiens nous entraînent dans des mondes différents en créant des installations vidéo qui vont au-delà de la simple représentation de l'image en mouvement.
À partir de leurs expériences individuelles, ils présentent chacun une conception élargie de la vidéo, où cette image en mouvement est considérée comme un déploiement de ce qu'ils incarnent.

Pour Achraf Bettaieb, sa vision artistique s'inscrit surtout dans sa pratique quotidienne de patineur. Il utilise le mouvement qu'il génère pour recréer et partager sa réalité. Utilisant le skate comme une lentille pour voir le monde, attraper et collecter des images saisissantes, Achraf transmet l'état ou plutôt le schéma mental dans lequel lui et sa génération se trouvent à travers un montage acrobatique, des images en bloc et des figures déformées.
En suivant cette idée de mouvement mais aussi de rythme et de rythme dans le mouvement, il fait plonger le public dans le monde dans lequel il vit, lentement mais sûrement, l'histoire qu'il raconte commence à se dérouler. Une histoire personnelle de sa vie mais aussi un regard sur ce que vit sa génération au sein de la ville dynamique de Tunis à travers la mutation sociétale vécue au quotidien. Dans un contexte en perpétuel changement, ce mouvement est pour lui un refuge et une voie qui favorise la continuité. Au-delà de son rapport à la pratique, il fonde RESURRECTION sur une expérience personnelle et traumatique qui a déclenché le besoin de la créer.

Syrine Eloued nous emmène également dans son univers personnel où elle s'interroge et recherche les relations que l'on peut entretenir avec l'image. Dans une sorte de journal audio-visuel, elle a rassemblé des fragments de vidéos qu'elle a prises pendant son année de résidence. Assemblage d'une série d'objets fixes, de mouvements, d'images tout en négatif, où l'artiste cache et montre ce qu'elle veut. Cette image brouille les limites entre le réel et le rêve, le visible et l'invisible, le lisible et l'occulte . Soutenue par un son hypnotique qui suit l'image et ses composants, elle partage des bribes d'actions répétées, des vues fixes sans jamais montrer l'ensemble du décor.
Fruit d'une expérience d'un an, mais comportant aussi des éléments commémorant la vie personnelle de l'artiste, MOON nourrit l'idée d'intimité mais aussi d'ouverture aux autres et à l'environnement.

Emna Fetni nous transporte à travers une vision cinématographique dans la ville de Tunis. Fragmentant les différentes images qui composent la ville, elle présente des décors d'une réalité non mise en scène, non embellie où elle s'arrête sur les gens, le lieu et l'interaction qui les maintient ensemble. Présentant des ensembles d'images en mouvement mais aussi fixes qui montrent la réalité de Tunis dans un décor en noir et blanc, elle souligne les différents fragments qui composent la ville et la révèle à travers et par les personnes qui en font partie. Dans un rythme frénétique, LES FRAGMENTS D'UNE VILLE révèle les contrastes de la ville en pleine effervescence, la situant entre "la nonchalance des marges et l'élégance de l'autre rive, la violence destructrice et la création menant à la perception entre étouffement et espoir".

Quant à Souheila Ghorbel, elle présente une vidéo suivant sa vision en tant que photographe qui capture des moments intimes avec la nature, célébrant l'espoir et la vie. Si ses photographies sont principalement des prises de vue de sa fascination pour les plantes, sa vision et le résultat qu'elle présente dans la vidéo sont le fruit de rencontres et d'échanges avec les fleuristes de Tunis.
En explorant les discussions qui naissent de ces rencontres, elle établit un lien entre la période indiquée dans le calendrier berbère durant laquelle la végétation se réveille de son état d'hibernation et commence à fleurir, et nous, les humains, qui traversons une détresse émotionnelle avant de nous relever. En établissant cette similitude dans WINTER BLOOM, elle invite le public à explorer ses propres sentiments et à comprendre comment les différentes émotions auxquelles nous sommes soumis nous font basculer d'un sentiment à un autre.

Pour Nada Chamli, son point de départ est une croyance culturelle enclavée traitant de la figure de la sorcière à travers l'histoire. À travers un essai audiovisuel, elle étend cette idée en traitant cette figure non seulement selon ce qu'elle est perçue, mais en l'examinant au sens d'une identité sociale menant à une vision mystique et spirituelle.
Identifiée au genre féminin, elle traite cette idée comme une question sociale touchant aux idées d'acceptation, de différence et de droit à la différence. Cette expérience sonore et visuelle nous entraîne dans le monde de l'artiste et dans son engagement à comprendre cette partie de l'histoire. Avec des bribes de discours et des mots fragmentés, visant à créer un cadre semblable à une narration, elle invite les gens à se pencher sur l'histoire de la sorcière et encourage le public à voir les femmes non pas comme le maillon faible, mais comme étant plus qu'une image placée dans une boîte que tout le monde doit suivre. HEIRLOOM emmène le public à travers l'histoire et attire l'attention sur les problèmes sociaux et culturels actuels.

De son côté, Wafa Lazhari transporte le public dans un autre monde. Entre le virtuel et le réel, elle partage le parcours de sa mère dans le deuil de la mort de son mari. En tant qu'architecte et artiste 3D, elle agit sur et avec l'espace de manière très subtile. La vidéo qu'elle présente est ancrée dans son intérêt profond et continu pour la vie changeante et fragile de la commémoration.
Le sentiment d'irréalité de l'image est tellement ancré dans la réalité qu'il transporte le public dans son monde et à travers la notion fragile du souvenir. Cette fragilité n'est pas seulement dépeinte à travers les idées mais aussi à travers la façon dont elle est conçue. En utilisant la photogrammétrie, elle a accentué ce sentiment, l'intensité de cette sensation et la simultanéité avec laquelle le souvenir fait trouver et perdre des choses à la personne. À travers UNDER THE DUST, le public suit un voyage intime sur le chemin du souvenir, dont la fragilité est renforcée par les différentes couches d'images, de sons et d'effets créés.

Les artistes, dans un univers en noir et blanc avec une touche de couleur, tout comme la vie, nous emmènent dans différentes directions ; chacun représente un monde, son environnement ou un point de son quotidien et stimule ainsi notre conversation avec une réalité. Cette sélection met en avant la vidéo en tant que média mais pas que cela. Elle représente la mise en valeur d'une véritable pluralité de points de vue et d'approches. En tenant compte de cette richesse d'idées et surtout de représentation, les artistes ont été sélectionnés pour ce qu'ils sont et ce qu'ils ont à offrir de novateur, d'excitant et de remarquable.